Comme Mr Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, les paysans, jusque vers 1950, faisaient du « bio » sans le savoir. Les pesticides chimiques, ils ne connaissaient pas, parce que ça n’existait pratiquement pas. Pourtant, de génération en génération, les savoir-faire s’étaient transmis jusque-là, et, bon an mal an, l’humanité avait trouvé de quoi se nourrir.
Mais, dès après-guerre, la modernisation de l’agriculture est en marche. Tracteurs et machines agricoles viennent soulager le paysan et lui permettre de voir plus grand. Les engrais chimiques améliorent la production. Les désherbants permettent d’échapper aux laborieux sarclages. Et les insecticides préviennent ou tuent dans l’œuf  pucerons et autres vermines  qui sabotaient souvent les récoltes.
Les paysans deviennent agriculteurs et chefs d’entreprises. Les lycées agricoles les forment efficacement  à cette modernité, présentée comme incontournable, d’autant plus qu’on les investit de la plus noble mission qui soit : nourrir la planète.
Aujourd’hui, avec un recul de 60 années, qu’en est-il ? Le bilan est mitigé. Mais parlons seulement des pesticides, puisque c’est notre sujet.Les pesticides comprennent principalement les herbicides (désherbants), les insecticides, et les fongicides ( anti-champignons). On les appelle aussi, pour faire plus joli et moins peur, produits phyto-sanitaires.
 
Depuis plus de 30 ans les études épidémiologiques s’accumulent, apportant, année après année, des résultats de plus en plus probants sur la dangerosité des pesticides pour la santé humaine, à commencer bien sûr par celle des agriculteurs.
Le déclenchement de certains cancers a pu être rattaché à une toxicité des pesticides, notamment pour des lymphomes, des leucémies, des tumeurs cérébrales, du pancréas, de la vessie, du poumon.
De nombreux pesticides sont aussi des perturbateurs endocriniens pouvant entraîner 2 sortes de conséquences :
  • apparition de cancers encore, dits cancers hormono-dépendants, dont principalement le cancer de la prostate et le cancer du sein.
  • perturbations du développement sexuel de l’enfant pendant la grossesse : diminution du nombre des garçons, malformations de l’appareil génital, mauvaise qualité des spermatozoïdes chez l’enfant devenu grand.
Enfin certaines maladies neurologiques, dont la maladie de Parkinson, peuvent aussi être reconnues comme maladies professionnelles chez les agriculteurs exposés aux pesticides.
Au total, les utilisateurs sont donc les plus exposés : les agriculteurs, mais aussi les personnes qui pulvérisent régulièrement des insecticides dans leurs maisons, contre moustiques et autres insectes; sans oublier les personnels  d’entretien des espaces verts.
Viennent ensuite les riverains des exploitations recevant des pesticides répandus au pulvérisateur par l’agriculteur, ou par avion, ou hélicoptère.
Enfin, toute la population est maintenant exposée à petites doses par voie respiratoire et digestive ( eau de boisson, vin, aliments).
Il n’y a pas besoin d’être exposé à de fortes doses pour subir des effets néfastes.
D’une part, parce que l’effet  perturbateur endocrinien est un effet de type hormonal où les microdoses agissent.
D’autre part, parce qu’il n’y a pas qu’un seul pesticide dans notre environnement, mais des dizaines de produits différents, dont l’effet est cumulatif, appelé effet « cocktail ».
Les embryons, les fœtus, et les enfants sont , comme toujours, plus sensibles que les adultes.
En conclusion, les signaux d’alarme clignotent de tous les côtés. Pourtant l’utilisation des pesticides est encore en augmentation, alors qu’en 2008 les politiques s’étaient promis de faire baisser la consommation de moitié  à l’horizon  2018. Les raisons n’en sont pas obscures.
Les agriculteurs ne veulent pas renoncer aux pesticides. Ils savent que c’est dangereux. Mais ils pensent qu’ils ne peuvent pas revenir en arrière, sous peine de faire faillite, même s’ils sont de moins en moins nombreux à être convaincus de la qualité de leur production.
Pour autant  ils ne croient pas à la viabilité économique de l’agriculture biologique, même s’ils ont des exemples autour d’eux prouvant le contraire.
Enfin, dans toutes les instances agricoles, et dans la sphère politique, l’influence des lobbies des industriels des pesticides pèse d’un poids incommensurable à tous les étages depuis plus de 60 ans.
Regroupés au sein de l’UIPP, union des industries pour la protection des plantes,  les fabricants de pesticides ont su se rendre indispensables à l’agriculture productiviste. Et ils veulent continuer à faire fructifier leur juteux business.
Si depuis quelques temps ils sont décriés, montrés du doigt, ils sont encore tout puissants.
Le monde agricole c’est un peu leur famille.Tout le malheur est là.
   
                                                                                                                         Dr Joseph Mazé
Références :
  1.  «  Pesticides, révélations sur un scandale français »  de F. Nicolino et F. Veillerette; Fayard éd.
  2. Cancers et pesticides : données actuelles. Dépt de cancérologie générale, Centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, 59020 Lille. Equipe d'accueil 2694: Santé Publique, Epidémiologie et modélisation des maladies chroniques, Université Lille II.)                                                                                                                  http://www.jle.com/fr/revues/medecine/bdc/e-docs/00/04/28/52/article.phtml
  3. I Baldi et coll CEREPHY Tumeurs cérébrales et produits phytosanitaires ; Laboratoire Santé Travail Environnement   Université Victor Segalen Bordeaux 2, juin 2007.
  4. INSERM : B Nadel Empreintes moléculaires de marqueurs tumoraux chez des agriculteurs exposés aux pesticides. Laboratoire instabilité génomique et hémopathies humaines, La Recherche : décembre 2009.
  5. Prescrire, juillet 2011, N° 333, A la recherche des perturbateurs endocriniens
  6. Agricultural pesticide use and pancreatic cancer risk in the Agricultural Health Study Cohort.                           Andreotti G, Freeman LE, Hou L, Coble J, Rusiecki J, Hoppin JA, Silverman DT, Alavanja MC.                            Division of Cancer Epidemiology and Genetics, National Cancer Institute, National Institutes of Health, Bethesda, MD 20892, USA
  7. Exposition professionnelle aux pesticides et tumeurs lymphoïdes chez les hommes: résultats d'une  étude cas-témoins française : Occup Environ Med mai 2009.                                                                               Laurent Orsi, 1 * Laurene Delabre, 2 Alain Monnereau, 1, 3, 4 Philippe Delval, 5 Christian Berthou, 6 Pierre Fenaux, 7 Gerald Marit, 8 Pierre Soubeyran, 3 Françoise Huguet, 9 Noel Milpied, 8 Michel Leporrier, 10Denis Hémon, une Xavier Troussard, 11 et Jacqueline Clavel 1
  8. ORS Poitou-Charentes Pesticides et santé 2011 p 21 à 33
  9. Risques de cancers et pesticides, Etat des connaissances Juillet 2009 INCa
  10. Enquête AGRICAN, juin 2011, premiers résultats
  11. Union des industries pour la protection des plantes : http://www.uipp.org